Blog de Space

« Un, deux, trois… »
J’appuyai sur le bouton Play de mon baladeur, et la musique commença à résonner dans mes oreilles, diffusée par le casque entièrement noir que je portais. Tout en fredonnant en rythme avec le morceau électro, je m’engageai tranquillement dans la rue. Pourvue de quelques magasins sur le trottoir droit, et d’un grand immeuble en face de ceux-ci, elle était plutôt fréquentée, et je dus faire attention à ne pas heurter un passant, quelques mèches noires obstruant partiellement ma vue. Je soufflai pour tenter de dégager mes yeux, sans grande conviction : je n’avais jamais eu ni le temps ni l’envie de me couper les cheveux, cette tignasse noire impossible à coiffer. J’en étais réduit à accepter le faible champ de vision imposé par celle-ci.
Avançant assez lentement, faisant semblant de regarder quelques vitrines, je jetai de de temps en temps quelques regards derrière moi, puis je remarquai vite ce que j‘attendais : Quelqu’un me suivait. Il avait le visage dissimulé sous la capuche d’une large cape noire, et calquait sa vitesse sur la mienne. Sa carrure assez malingre m’intrigua, mais j’accélérai ma marche, l’invitant à me suivre, ce qu’il fit. Allant progressivement de plus en plus vite, je repérai du coin de l’œil le carrefour au bout de la rue, qui croisait à cet endroit une grosse artère, la plus importante de la ville. Je décidai alors de tendre un piège à cette personne, qui n’avait pas l’air d’être un ami : je me mis à courir, puis tournai subitement dans l’avenue. Tombant dans mon piège, mon poursuivant prit la même direction. Je m’arrêtai alors subitement et me jetai sur lui, arrachant sa capuche. De longs cheveux blonds tombèrent alors sur les épaules de celle qui se révéla être une fille. Je fis rapidement un mouvement de recul, et me positionnai à plusieurs mètres d’elle. Elle ne bougea pas, me regardant de ses grands yeux bleus insondables. Mettant la musique sur Pause, je l’interpellai à haute voix :
« Tues nouvelle ? Je ne t’ai jamais vue… Je ne me targue pas de connaître tous vos membres, mais tout de même, une tête pareille m’aurait marquée.
Mon interlocutrice ne semblait pas m’entendre, mais répondit finalement après quelques secondes de silence :
« Je ne suis pas autorisée à dévoiler mon identité à un ennemi. » répondit-elle sur un ton monocorde, dénué d’émotions.
« Je vois que ton leader est bien plus strict que le mien. Je me présente, je suis Niko. »
Elle ne daigna même pas réagir verbalement à ma présentation, mais un bruit de déclic métallique me confirma qu’elle avait un tout autre plan en tête : jetant un regard à sa main j’aperçus le pistolet qu’elle braquait sur moi. J’eus à peine le temps de m’en rendre compte qu’elle tira.

Dans un réflexe de survie, je plongeai sur le côté gauche, tandis qu’un laser fusa au-dessus de mon épaule droite. Je roulai sur la route. En relevant la tête, je vis avec horreur qu’une voiture fonçait tout droit sur moi. Fermant les yeux, je m’attendis au pire. Fort heureusement, elle parvint à m’éviter, et fit une embardée avant d’aller s’écraser contre un lampadaire. Le conducteur en sortit, quelque peu sonné, mais reprit bien vite ses esprits et commença à m’insulter de tous les noms. Je me remis debout sans faire attention à lui, et sentit un autre tir me frôler la joue. Je me retournai pour apercevoir la fille, qui appuya une troisième fois sur la gâchette d’un geste mécanique. Elle fit mouche : mon avant-bras gauche fut touché, et je n’eus d’autre choix que de fuir, harcelé de derrière par les nombreuses tentatives de la part de mon ennemie pour m’abattre. Maudissant ma grave au genou, reçue lors d’un combat similaire, je courus aussi vite que mes jambes purent me porter, et traversai la foule massée autour de nous, ce qui ne sembla pas gêner mon attaquante, qui continua à tirer dans ma direction. Bien sûr, elle ne risquait pas d’en toucher une, puisque, dans cette ville, ce sont nous, les mineurs, qui nous battons. Pour les autres, tout ceci n’est qu’un vulgaire jeu de rue.

Et la cause de cette farce gigantesque, c’est le R18, une fréquence lumineuse spéciale, visible uniquement des personnes n’ayant pas atteint la majorité. Derrière cette découverte ô combien révolutionnaire se cache une réalité toute autre : ce rayon lumineux, une fois concentré en un point bien précis, provoque une très vive douleur chez les personnes mineures, le tout sans laisser de marque ou de séquelles. La seule utilisation possible de cette découverte qui est alors venue en tête chez les scientifiques -et les politiciens véreux en charge du projet- était de l’utiliser dans les écoles du pays pour maintenir un ordre absolu. La petite ville de banlieue de New River a donc été choisie comme ville-test pour ce tout nouveau système : le lycée et les trois collèges de la ville ont donc été équipés d’environ 2000 pistolets R18, qui ne se distinguent de pistolets normaux qu’après avoir tiré. Malheureusement, les élèves, poussés à se confronter les uns aux autres pour éviter les punitions infligées par ces pistolets aux plus mauvais éléments, ont très vite formé des clans. Aucune bagarre n’a éclaté, mais l’on sentait un climat oppressant. Seulement, un jour, alors que les tensions étaient sur le point d’éclater et de se transformer en véritable guerre civile, une personne -dont l’identité reste malheureusement inconnue- a donné accès aux élèves aux salles où étaient rangés les pistolets R18.
La ville est alors devenue le théâtre d’un affrontement sans merci entre deux bandes rivales, composées de garçons et de filles entre 10 et 18 ans. Je fus happé dans cette guerre civile le jour de mes 11 ans.
Ce qui m’énerve le plus, dans cette histoire, ce n’est pas le fait que l’on soit obligés de survivre par nos propres moyens depuis que tous nos parents ont quitté la ville en nous abandonnant. Non, le plus terrible, c’est que la grande majorité des adultes ne nous croient pas, et s’imaginent tous que nous jouons simplement à un gigantesque jeu organisé, un jeu de gamins !

Toute cette haine recommençant à faire surface, je sentis un deuxième souffle s’immiscer dans mes poumons, ce qui me permit de semer quelques instants ma poursuivante, juste assez longtemps pour me jeter derrière une voiture, dans le parking souterrain où notre course nous mena. Je fermai les yeux un instant, et me remémorai le plan de la ville. Les deux clans, nos deux clans, en contrôlent chacun une partie : le clan Moon, principalement composé de filles, occupe la totalité des quartiers aisés de la ville, où se croisent des rues parsemées de maisons parfaitement identiques. A l’inverse, mon clan, Night, est le maître des quartiers du centre-ville, où se dressent de hauts immeubles encerclant les rues animées. Une rivière partage la ville en deux, et le contrôle des trois ponts est essentiel pour éviter une embuscade ennemie. D’ailleurs, en parlant d’embuscade, je me souvins avoir préparé quelque chose en prévision d’un adversaire trop fort en combat singulier. Je sortis alors de ma cachette, attirant son attention, et me dirigeai vers l’escalier de secours. Une fois à la surface, je courus sans me retourner vers une petite ruelle, espérant attirer la jeune fille dans un ultime piège. Elle ne semblait pas vraiment bien avertie des zones dangereuses à éviter, car elle me suivit en s’engouffrant à son tour dans l’étroit passage. Lorsqu’elle ressortit de l’autre côté, elle eut la surprise de tomber sur une dizaine d’adolescents, tous de mon clan, qui la visaient avec leurs pistolets R18. A peine eut-elle le temps de s’en rendre compte qu’un nombre incalculable de lasers fusèrent vers elle. La pauvre n’eut alors d’autre choix que de se recroqueviller à terre, en sentant d’innombrables et invisibles lames glacées la transpercer de toutes parts…

« Mince… »
Ce fut le seul mot qui sortit de ma gorge nouée devant cette meute de chiens féroces. Chiens ? Certes, ce sont des canidés, mais ils sont beaucoup trop gros. Des loups ? Non plus… En me concentrant bien, je remarquai que leur queue était beaucoup trop longue et lisse, mais aussi qu’une petite flammèche bleue oscillait à l’extrémité, selon les aléas de la faible brise qui soufflait alors sur la clairière. Je déglutis lorsque l’un d’eux, le plus proche de moi, retroussa ses babines, découvrant des dents acérées, et sûrement capables de déchirer un morceau de chair en moins de temps qu’il n’en faut pour sentir la douleur.
La douzaine de chiens loups dispersés dans le camp était maintenant rassemblée autour de leur chef, un spécimen plus imposant que les autres et couverts de cicatrices, et me faisait face. L’atmosphère était tendue, comme si les bêtes attendaient que je fasse le premier mouvement avant de me sauter dessus. J’entendais presque le silence bourdonner dans mes oreilles, battant la mesure en harmonie avec les battements rapides de mon cœur. C’est alors que le chef de la meute fit un imperceptible mouvement de queue, ce que je compris comme un ordre de se jeter sur moi et de me déchiqueter méthodiquement : ses sbire émirent des jappements rauques et se ruèrent sur moi.

Mon premier réflexe fut d’attraper un bâton au sol et de l’agiter devant eux. Ils se stoppèrent un instant, semblant presque rire de cet instinct de survie digne d’un moineau, puis reprirent leur course. J’avisai alors le feu de camp allumé derrière moi, et me jetai dessus. J’enfonçai la branche dans le brasier, et celle-ci s’enflamma d’une lueur rouge et rassurante, en comparaison avec le bleu froid de la flammèche des monstres. J’agitai de nouveau la torche, mais cela ne sembla pas inquiéter mes attaquants. Arrivé à moins de trois mètres de moi, l’un d’eux me sauta dessus. J’eu tout juste le temps de placer le bâton devant moi que la bête referma violemment sa mâchoire dessus. Elle s’assit alors, étrangement docile, et commença à mâchouiller la branche, comme si elle… mangeait le feu ? Content de moi, je ramassai une autre branche, que j’allumai et fourrai dans la gueule du deuxième monstre qui me sauta dessus. Celui-ci m’oublia à son tour et se délecta de la flamme paisiblement. Le reste de la meute ne semblait plus faire attention à moi : ils regardaient tous leur chef, de leurs petits yeux jaunes, attendant assurément un nouvel ordre. Celui-ci regarda à tour de rôle les deux chiens loups qui, maintenant repus, faisaient la sieste, et ouvrit alors la gueule, s’apprêtant à aboyer un ordre. Soudain, le coup partit.

Une détonation résonna dans l’air, et la tête du chef de meute reçut un puissant impact, qui fit tomber le corps inerte au sol. Un autre coup de feu partit des buissons et abattit un des deux chiens loups que j’avais calmé, pendant que les neuf restants battaient en retraite dans la forêt, en traînant la dépouille de leur chef. Le deuxième monstre endormi se réveilla et s’enfuit lui aussi. Alors, mon sauveur put sortir des buissons sans crainte : c’était un jeune homme -un jeune elfe, pardon- qui tenait dans sa main un fusil, et portait à sa ceinture des cartouches. Il vérifia si la zone était réellement sûre, puis s’approcha de moi.
« T’as vraiment failli y passer, gamin.
-Oui, merci beaucoup de votre aide… Qu’était-ce que ces bêtes ?
-Des Regulens… Mais attends… Tu es tout seul ?
-Non, j’attends des amis qui sont partis dans la forêt… »
Il resta pensif un instant, puis acquiesça et sortit un couteau de sa poche, qu’il me tendit :
« La prochaine fois, utilise ça pour te défendre ! »
Je pris le couteau dans la main : une simple lame attachée sur un manche en bois, mais l’ensemble paraissait néanmoins solide et efficace, à en juger par le tranchant effilé. Je le remerciai, mais il ne sourit pas, trop occupé à lorgner sur… mon cou ?
« Qu’est-ce que vous faites ? »
Il passa alors sa langue sur ses lèvres, me prit par les épaules, m’immobilisant totalement par sa force surhumaine, et avança alors doucement sa bouche vers mon cou… lorsqu’un poignard vint se ficher dans sa propre gorge. Il recula, l’arracha, et émit un grondement sourd, regardant en direction des fourrés. C’est le moment que choisirent Folken et Miara pour sortir, l’un avec une hache dans la main, l’autre avec des lames entre les doigts. Destia surgit derrière eux et me cria de m’éloigner de l’elfe, qui se trouvait maintenant à quatre pattes en train d’aboyer violemment. Enfin, Alma arriva en dernier, et jeta une sorte de disque blanc sur l’inconnu, qui recula vivement en poussant un gémissement…

---Extrait de Cycle et décadence, de F. Blatt (roman fictif)