Blog de Space: Carnival Corpse ~ Chapitre 3

Je parcours plusieurs fois le nom qui est marqué à côté de la photo de cette fille, qu’apparemment je connais. Je ne rêve pas, il y a bien marqué..? Comme pour m’en assurer, je prends mon courage à deux mains, avale une bouffée d’air, ferme les yeux, puis les rouvre, et répète le nom à voix haute :
“Bé-”
Tout à coup, comme pour me donner une crise cardiaque, le téléphone, que je tiens fermement, se met à vibrer, tout en diffusant ma sonnerie, Under the sun, une chanson assez ancienne et passée quasiment inaperçue. Je sursaute, puis décroche, après avoir regardé le nom de l’appelant. Lessah. Le monde se ligue contre moi pour que je ne puisse pas dire ce nom, ou quoi ?
“Allô ?
-Mathias ? Mathias ! Je suis désolée ! Désolée !”
Elle parle si fort que je suis obligé d’éloigner le téléphone de mon oreille pour ne pas devenir sourd...
“De quoi tu parles ?
-Mais... Tu m’as raccroché au nez, alors j’ai cru que... j’avais dit quelque chose qu’il ne fallait pas...”
Je soupire, essayant de me calmer en prenant une voix rassurante :
“Nan, c’est ma faute... Je suis un peu sur les nerfs depuis ce matin... Désolé.”
Elle m’assure que ce n’est pas grave, puis prend tout à coup une voix sérieuse, et me déclare :
“Au sujet de la fille que tu as en fond d’écran, je sais pourquoi j’ai répondu “Stalker” spontanément. Tu m’avais déjà dit que tu avais la photo d’une fille splendide en fond d’écran, et tu m’avais également dit qu’elle t’intéressait... C’était il y a un mois, mais tu ne m’en a plus jamais reparlé. Quel est son nom ?”
Ah. Enfin, je peux le dire.
“Elle... s’appelle...”
Pourquoi je sens un frisson parcourir mon dos lorsque je prononce ce nom ? Ce n’est pourtant ni une malédiction, ni une formule magique !
En entendant le prénom de cette fille, Lessah reste silencieuse quelques secondes, puis soupire :
“Tu n’avais pas dû me dire son nom, car là, ça ne me dit rien... Désolée...
-Pas grave...”
Nous nous promettons de nous revoir un de ces jours, puis je raccroche, et lâche un soupir. Ça fait déjà un mystère de résolu...
Je connais donc bel et bien cette fille.
Alors que je me décide à essayer de me souvenir, je sens le monde basculer autour de moi : je commence par voir flou, puis n’entends plus rien, et enfin mes muscles lâchent.
La narcolepsie.
Lorsque je me réveille, je suis dans mon lit, en pyjama, les couvertures bordées. Comme une crise ne me repose absolument pas, j’ai sommeil, comme toute personne lorsque la nuit vient. J’oublie que je voulais réfléchir, et m’endort...

Le lendemain, après un lever en pleine forme et un petit-déjeuner copieux, je pars pour le lycée. Une fois arrivé en cours, je sors mes affaires, et me prépare à écrire sous la dictée du professeur, lorsque mes quatre amis s’approchent de moi.
“Bah alors, t’es en avance, pour une fois, Math’. Qu’est-ce qui t’arrives, t’es malade ?
-Très drôle, Dussy. Plus sérieusement, est-ce que j’ai une copine ?”
La question pourrait paraître extrêmement étrange, mais avec eux, ça passe.
Par contre, je ne m’attendais absolument pas à la réponse :
“Haha, elle te manque, c’est ça ?” Gutany n’a pas l’air de plaisanter. Enfin si, mais pas sur le fait que j’ai eu une copine.
“Après tout, c’est elle qui l’a largué, et en plus pour des raisons obscures... Elle t’a dit quoi, déjà ?”
Je n’écoute déjà plus : là, dans le couloir, juste devant de ma classe, vient de passer Cette fille, comme si elle me hantait.
“Encore toi ?!”
Je me lève brusquement, puis sors de la classe à sa poursuite, tandis que mes amis me regardent, intrigués, en me rappelant que le cours va commencer.
Je marche vite, en essayant de me frayer un passage à travers les élèves massés devant leurs classes respectives. Lorsque j’arrive enfin à la rattraper, elle se retourne brusquement. Ses yeux sont inexpressifs, et ne traduisent aucune rancœur, ni aucune affection. Elle se contente de me demander :
“Qu’est-ce qu’il y a ?”
En entendant sa voix, si particulière, je me rends compte que c’est bien elle qui m’a porté jusqu’à l’infirmerie. Mais alors, pourquoi être partie sans me dire un mot ?
Je lui fais face, la regarde dans les yeux, et lui lance :
“Qui es-tu, à la fin ? Pourquoi est-ce que tu m’es familière ? Pourquoi est-ce que j’ai une photo de toi en fond d’écran ? Pourquoi est-ce que je semble te connaître, et avoir été proche de toi ?”
Pendant un instant, je crois voir passer dans ses yeux une pointe de surprise, mais je continue.
“Et enfin, pourquoi, pourquoi, pourquoi ton nom est Bé-”
A peine ai-je prononcé la première syllabe que je sens mes côtes craquer. Je baisse les yeux, et me rend compte qu’elle vient de m’asséner un véritable coup de pied en plein abdomen. Alors que je m’étale au sol en gémissant de douleur, elle baisse les yeux vers moi, et me lâche, avec une pointe de colère dans la voix :
“N’essaye plus JAMAIS de prononcer ce nom.”
Je ne suis pas en état de protester, même si cette demande me laisse de nombreuses interrogations. C’est donc bien son nom ?

Alors que je tente de me relever tant bien que mal, je me rends compte que le couloir, il y a quelques instants bondé, est maintenant vide. Elle aussi semble le remarquer, car elle regarde à droite et à gauche. Enfin, elle peste, puis fait apparaître un fusil dans ses mains, comme hier. Elle se met en joue, attendant sûrement que ce qui semble la troubler se montre. Mais rien ne se passe. Elle soupire, puis son arme disparaît. Enfin, alors que ma douleur commence à s’estomper, la fille tourne le dos et s’en va, disparaissant à l’angle d’un couloir.
“Reviens !”
Je me traîne misérablement derrière elle, lorsque tout à coup, mes yeux clignent d’eux-mêmes, et je me retrouve dans le couloir. Avec plusieurs élèves qui me fixent. Je me relève, essayant de faire comme si de rien n’était, puis m’éloigne des chuchotements interrogateurs.
A mesure que je me rapproche difficilement de la salle dans laquelle j’ai cours, une odeur de peinture fraîche attaque mon nez et me fait tourner la tête. Je serre les dents, me bouche le nez de la main gauche, tandis que la droite tient mes côtes -dont plusieurs sont sûrement cassées-, puis avance inexorablement.

Alors que je parviens enfin à ma classe, j’entends un cri strident. Oubliant toute douleur, j’ouvre brusquement la porte, et découvre un spectacle digne de film d’horreur : les murs sont recouverts de peinture multicolore, comme si celle-ci avait coulé tout le long de ceux-ci; tous les élèves arborent des expressions de peur intense, les yeux écarquillés, et regardent le tableau; enfin, alors que je tourne ma tête vers l’endroit que mes camarades fixent, je remarque notre professeur. Puis, je lâche malgré moi un cri.
Comment est-ce possible ? Qu’est-ce qui est arrivé ici ? Pourquoi notre professeur est-il accroché au plafond, comme pendu, un trou béant dans la poitrine, de la peinture rouge écarlate étalée partout, comme si elle avait giclé sur le tableau, le pupitre, et les élèves du premier rang ?!