Blog de Space: Carnival Corpse ~ Chapitre 2

Encore quelque peu sonné par la vision cauchemardesque que je viens d’avoir, je ne sens pas tout de suite que l’on me soulève par les aisselles. Je suis bien trop occupé à tenter d’analyser ce que j’ai vu : une fille, que je semble connaître, mais dont le nom m’est inconnu, se battant contre une force invisible, et ce au moyen d’un fusil apparu comme par magie dans sa main. Comment a-t-elle fait apparaître cette arme de nulle part ? Où étions-nous ? Qu’attaquait-elle ? Toutes ces questions se pressent dans ma tête sans trouver de réponses, si bien que je finis par perdre connaissance, un affreux mal de crâne m’empêchant de rester conscient.

“Narcolepsie ?
-Non, il est juste évanoui...
-Je voulais dire... Il souffre bien de narcolepsie, non ?
-Ou-oui, pourquoi ?
-Rien...”

Cette voix... Serait-ce ..?!

Je me réveille en sursaut. Je me trouve à nouveau dans l’infirmerie, mais l’infirmière y est seule. Aucune trace de l’autre voix. Qui était-ce ? Elle me dit vaguement quelque chose...
Je me redresse difficilement dans mon lit aux draps trempés de sueur, et fronce le nez en sentant cette odeur de désinfectant que je déteste. L’infirmière me remarque et s’approche de mon lit. Elle tient une plaquette en bois sur laquelle est atatchée ma fiche de soin, comme dans un hôpital. Je lui demande, avant qu’elle n’ait eu le temps d’ouvrir la bouche :
“Avec qui parliez-vous ?”
Elle me regarde, intriguée :
“Vous nous avez entendus ? Ho ho ho ! Et vous n’avez pas reconnu votre amie ?”
Mon amie ? Piluu ?
“Elle vous a transportée jusqu’ici toute seule, et m’a expliqué toute la situation.”
Non, ce n’est pas Piluu, elle ne m’a pas vu tomber à terre ! Et puis, vu sa constitution, jamais elle n’aurait pu me porter : je mesure vingt centimètres de plus qu’elle, et fait quasiment le double de son poids !
“Elle vous a donné... son nom ?”
Pour une raison inconnue, je déglutis, comme si je me trouvais dans un film à suspense.
“Ho ho ho, vous avez pris un coup sur la tête ? Ne pas savoir le nom de son amie, tout de même !”
Effectivement... Mais, si c’est bien la personne à laquelle je pense, je ne risque effectivement pas de me rappeler de son nom, puisque je ne le connaît même pas ! L’infirmière semble déceler mon désarroi, et me répond aimablement :
“A vrai dire, elle ne me l’a pas donné, et je ne l’ai jamais vue ici, donc son nom n’est sur aucune fiche...”
A la fois déçu, bien que je m’attendais à cette réponse, et soulagé que la femme ne me pose pas de questions supplémentaires, je me rallonge, puis ferme les yeux, songeant pour moi-même qu’il faudra demander à la CPE s’il existe une carte de fidélité pour l’infirmerie...

Une fois sorti de l’infirmerie -pour la deuxième fois de la journée-, je commence à songer sérieusement à rentrer chez moi sans assister au reste des cours, lorsque j’entends mon ventre hurler à la mort. C’est vrai, j’ai raté l’heure du repas. Au moins, ça prouve que j’ai dormi moins de deux heures.
N'apercevant pas mes amis à la sonnerie, c’est seul que je me fraye un passage dans la queue de la cantine, me mêlant aux autres lycéens affamés en quête de quoi se sustenter. Je suis bousculé, chahuté, et même renversé. Tombé par terre, j’ai juste le temps de ramasser mon portable avant qu’un élève ne pose son pied à l’endroit où mon téléphone se tenait, il y a à peine quelques secondes. Dans notre lycée, chaque heure dédiée au repas voit naître une véritable guerre pour savoir qui aura la plus grosse portion de tel ou tel aliment, et aujourd'hui j’en suis une des nombreuses victimes.
Me posant à une table, seul, je remarque que je tiens toujours mon portable à la main. Me souvenant que je ne l’ai pas consulté depuis ce matin, je l’ouvre afin de jeter un oeil à un éventuel message ou appel manqué. Une fois le clapet descendu, j’appuie sur le bouton de déverrouillage... puis la voit. Elle. Cette fille. Elle porte un bonnet gris, a les cheveux lâchés sur son épaule, et me sourit, une écharpe rouge enroulée autour de son cou. Derrière elle, un mur en pierre ancienne. Je ne peux plus bouger, comme tétanisé. Je ne connais toujours pas son nom, mais je peux affirmer que c’est bien cette fille qui se tient, là, en tant que fond d’écran sur mon téléphone.

Après être rentré machinalement chez moi, comme dans un brouillard, je m’allonge sur mon lit, en essayant de faire le vide dans mon esprit pour analyser la situation. C’est alors que je reçois un appel d’une amie, Lessah, sur mon téléphone :
“Allô, Math’ ? Ça va ?
-Ouais, ouais...”
Mon ton n’a pas l’air convainquant, car elle prend une voix un peu plus inquiète :
“Qu’est-ce qu’il se passe ? T’as l’air... ailleurs.”
Malgré moi, je souris. Elle est vraiment forte !
“Bon, disons que, ce matin, j’ai croisé une fille dont le visage me dit quelque chose. Mais, j’ai beau essayer, impossible de me souvenir de son prénom. Et, là, ce midi, en allumant mon portable, j’ai découvert que j’ai une photo d’elle en fond d’écran !
-Stalker !”
C’est tout ce que tu trouves à me dire ?! Énervé, je raccroche, et balance mon portable sur mon bureau. Il ricoche, puis vient heurter le bord de mon lit, et termine sa course au sol, ouvert, montrant mon écran d’accueil. Je reste là un moment, à regarder le sourire de cette fille, ses yeux, son visage. Je me sens comme absorbé. J’aurais pu la contempler des heures, mais une idée s’impose à mon esprit. Et si...
Je bouge un peu, tend mon bras pour attraper le téléphone puis, d’un simple glissement de doigt sur l’écran, bascule vers les contacts. Sur ce modèle, il est possible d’ajouter une image à côté de chaque numéro, afin de faciliter la reconnaissance lors d’un appel entrant. Je navigue, les doigts tremblants, et trouve ce que je cherche : la photo de cette fille, dans mes contacts. Je déglutis bruyamment, puis fait doucement couler mon regard vers le nom inscrit à côté de sa photo. Lorsque je le lis en entier, mon cœur rate un battement, et le sang bat à mes tempes.
“C’est une blague ?!”