Le MEME no.0 - Périodique Pérépétiticien

Aujourd'hui je dois faire comme si j'étais très très occupée, car je suis en stage, et on ne m'a jamais appris à faire du café; on comprend donc l'étendue du doute existentiel qui pèse sur ma personne, qui, dérobée de son rôle, est obligée de se mettre à écrire un article pour Terra sur un brouillon d'email pour faire genre y'a une raison de continuer de me payer alors que j'ai absolument aucune utilité/éducation/utilité (deux mots interchangeables).

...bite ?
non, quoi qu'on en dise j'en ai pas trois, et la blague est pas drôle

La première semaine de mon stage, je me suis rapidement rendue compte que le déjeuner servi à l'espèce de cantine improvisée, tenue par une grosse thailandaise peu commode, était gratuit pour la simple raison que les portions sont assez pour nourrir soit un enfant anorexique venu du fin fond du Congo, soit un vegan qui peut être rassasié - et atteint probablement l'orgasme - en trois graines de quinoa posées sur une feuille de roquette. (ça tombe d'ailleurs bien puisqu'une grande majorité des employés sont végétariens - comble de l'injustice, le chili con carne en devient un chili con tristessa et aubergine)

Ayant la confiance en soi d'un pangolin qui attend les résultats du concours de l'animal le plus poilu, je m'assois le plus souvent seule à table (ne voulant pas importuner la foule et me ridiculiser par mes habituels bafouillages sociaux entre-bouchés de quelque clafoutis à l'aloe vera) et je fuis la cafétéria d'amateurs de tofu le plus rapidement possible.
Dans ces conditions, impossible de se resservir des trois tomates cerises et demies, ainsi que de la baguette si fabuleusement sèche et dégueulasseLe lecteur sera ravi d'apprendre que je travaille actuellement au pays du thé et de la pluie qui servent de met délectable à cette bande d'amateurs de laitue.

Donc, après quelques expériences de grondement de ventre prolongé peu plaisantes, je décidai, au troisième jour environ, de me lancer dans une entreprise risquée, mais astucieuse : j'embarquai discrètement une poignée de fruits à mon bureau à l'étage, après le déjeuner. On ne se rassasie pas vraiment d'une vieille prune fripée et d'une orange pas mure, mais c'est mieux que de crever la dalle comme un habitant du tiers monde.

Donc je me pose à mon bureau avec mes petits fruits et une serviette, que je mets dans un coin avant de me mettre à vaguement travailler.
Après une activité intense et longue d'imprimage-d'un-truc-et-après-tu-fais-"oh-mince-c'est-tout-compressé-va-falloir-que-je-réimprime-mieux-ça-sera-plus-joli", c'est l'heure du goûter. Alors que mes collègues grands Bretons ont infusé encore plus de feuilles dans de l'eau bio et sirotent, sérieusement plongés dans les deux-cents-quatre-vingt-huit emails non lus qu'ils ont encore à parcourir, je réussis à puiser le peu de courage que je peux avoir du fond de mon être, et je tends la main vers l'orange.

Spoiler :

Fig 1 - Une Orange et demie

> J'enfonce mon ongle dans la peau, et je creuse un premier piti trou.
> Je retire mon ongle et y'a plein de peau blanche dégueulasse sous mon ongle, et je me dis que ça va puer le fruit toute la semaine, mais bon.
> Je continue de retirer méticuleusement la peau, en essayant de faire le moins de bruit possible, lorsque je me rends compte que le bureau empeste d'orange, et, étant la seule morfale en train de manger dans un bureau où s'entassent une quinzaine de personnes, je me dis que pour eux ça doit être "bien relou".
> Cela dit, le mal est déjà fait, autant continuer.
> L'orange manifeste son mécontentement en me giclant du jus dans l’œil - je tente désespérément de l'essuyer avec une main, mais j'ai du jus sur la main, et frotter rend le tout encore plus désagréable.
> Me disant que le périple doit bien en valoir la fin, je finis d'éplucher mon orange et entreprends d'en arracher un quartier.
> Une chouette idée, qui rend la consommation des oranges Ô si agréable.
> Sauf qu'en l'occurrence, l'orange avait décidé d'être une chieuse, et le bruit d'arrachage du quartier est assez pour réveiller un ronfleur narcoleptique sous chloroforme.

>Je me bats avec bravoure et décroche un morceau (quoique totalement bossu et improbable), et le fourre dans ma bouche (trop vite, à cause du stress).

Je pense que je n'ai jamais réussi à manger quelque chose aussi bruyamment, même quand il s'agissait de pop corn pendant une scène tragique de cinéma. Par fabuleux miracle de la nature, les sons qui sortaient de ma bouche ressemblent un peu au splooch splooch que font deux morceaux de steaks applaudis l'un contre l'autre.

Les douze minutes qui ont suivi étaient un incroyable orchestre d'arrachage de chair d'orange et de masticage à 150 décibels.
Qui m'a valu quelques regards déconcertés.

Morale: Plus jamais je mange de fruits. C'est beaucoup trop vicieux.