Mon premier et dernier "cauchemar", que j'ai dû faire quand j'avais neuf ou dix ans. Cauchemar entre guillemets puisque je n'avais pas peur. C'était juste un fouillis d'émotions fortes et tristes.
Je ne sais pas où je suis ni d'où je viens. Je regarde autour de moi. Un monde infini, plat, couvert d'une fine couche de gazon uniforme, qui s'étend à perte de vue. Le ciel est bleu, l'horizon grisonnante. Mais je ne semble pas préoccupée par ce curieux paysage. Je me retourne.
Quelques pas devant moi, des gens, de ma taille, s'avancent en rang. Je reconnais ma classe, sans faire attention aux visages des enfants. Deux par deux, ils avancent. Devant, je remarque une baraque de métal, grise. Seule la base m'apparaît, et je ne fais pas attention à la hauteur du bâtiment. Je rattrape le rang. Je cherche mes amis, zigzagant entre les différents élèves, qui, impartiaux à ma panique, regardent tout droit devant eux, marchant militairement. J'appelle, je cours. On continue d'avancer, plus vite. On entre dans la bâtisse.
Le sol est en métal argenté. On monte les larges escaliers qui donnent sur le dehors, de plus en plus vite, toujours aussi droit, aussi carré, on monte les marches une par une, je cherche, les pas résonnent sur le métal, je perds mon souffle, ils prennent de l'avance sur moi, le son des pas s'efface... Je ne les vois plus. Je cours entre les couloirs, les escaliers gris. Je n'entends que ma respiration saccadée et mes pas lourds qui cognent contre le métal. Je continue de monter, enjambant les longues marches, le souffle court. Je m'arrête, aperçoit ma classe, tourne, fait demi-tour, remonte, descend, la sueur coule sur mon front mais je semble toujours les perdre de vue. Je remonte une dernière cage d'escaliers, haletante.
Ils donnent sur une pièce carrée, ouverte sur le ciel bleu uniforme. Je m'avance, lentement, à petits pas. Devant moi, une figure est tournée vers le vide. Je continue d'avancer. Je m'arrête, le petit garçon brun se tourne vers moi. Il s'approche, je ne bouge plus. Il est maintenant à quelques centimètres de moi. Sa tête est au niveau de la mienne. Je n'arrive pas à me concentrer sur son visage. Il se penche. Dans une infinie tristesse, il m'embrasse, et, alors que sa bouche est contre ma bouche, je sens une bouffée de nostalgie me percuter. "C'est un adieu", me dis-je.
Il s'éloigne, et je ressens ce sentiment amer du dernier au revoir. Je veux tendre la main, mais je ne fais que crisper mon visage, comme pour pleurer. Il fait deux pas en arrière, et tombe.
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